“Notre société n'a que des banques pour cathédrales ; elle n'a rien à transmettre qui justifie un nouvel « appel aux conservateurs » ; il n'y a, d'elle proprement dite, rien à conserver. Aussi sommes-nous libres de rêver que le premier rebelle, et serviteur de la légitimité révolutionnaire, sera le Prince chrétien”.
Pierre Boutang, Reprendre le pouvoir
De la France et de ses parlements
Emmanuel Macron a peur des parlements que son imprévoyance a montés contre lui. Comme dans toute banale histoire de marionnettiste démiurge, sa créature a fini par apprendre de lui (ainsi que le Malin lui-même apprend de nous, petits hommes) et la force qu’il tirait de sa mécanique se retourne avec d’autant plus de violence contre lui et son minuscule jardin de pouvoir, dont il crut les horizons sans borne, qu’il lui avait laissé la bride au cou pour en démultiplier les ravages.
S'il avait été aussi florentin que le fut son infâme prédécesseur Mitterrand, M. Macron aurait appris quel rôle médiateur, nécessaire et peu enviable joue un parlement dans un État comme la France, dont le centralisme ne peut se permettre de montrer de l’impuissance ne serait-ce qu’une seconde.
Alors que le petit président est nu, nous livrons au lecteur ce perspicace passage de Machiavel, où le vicieux philosophe est malgré lui obligé de rendre hommage au Royaume des Lys dont l’équilibre fut sans pareil dans les terres de l’Ouest :
« Parmi les royaumes bien ordonnés et gouvernés de notre temps, il y a celui de France, et on trouve en lui une infinité de bonnes constitutions dont dépendent la liberté et la sûreté du roi ; la première d’entre elles est le Parlement, avec son autorité.
En effet, celui qui ordonna ce royaume – connaissant l’ambition des puissants et leur insolence, jugeant donc qu’il était nécessaire qu’ils eussent un frein dans la bouche qui les corrigeât ; et sachant, d’autre part, que la haine de l’universel envers les grands était fondée sur la peur et voulant les rassurer – ne voulut pas que ce fût là un souci particulier du roi, afin de lui épargner les reproches que pourraient lui faire les grands s’il favorisait les gens du peuple, et ceux du peuple s’il favorisait les grands.
Et voilà pourquoi il constitua un tiers juge qui serait chargé – sans que le roi encourût de reproches – de battre les grands et de favoriser les plus petits : et il ne put y avoir ordre meilleur ni plus prudent ni qui soit une plus grande cause de la sûreté du roi et du royaume.
D’où l’on peut tirer une autre chose remarquable : les princes doivent faire administrer ce qui fait encourir des reproches par d’autres et ce qui procure la grâce par eux-mêmes. Et je conclus encore une fois qu’un prince doit tenir compte des grands mais ne pas se faire haïr par le peuple.
Les royaumes aussi ont besoin de se rénover et de ramener leurs lois à leurs origines. On voit quels bons effets obtient ce procédé dans le royaume de France, qui est davantage gouverné selon les lois et les institutions qu’aucun autre royaume. Les Parlements, et surtout celui de Paris, les maintiennent. Il les rénove chaque fois qu’il prend une mesure contre un prince du royaume et qu’il condamne le roi dans ses sentences. Il s’est conservé, parce qu’il réforme obstinément la noblesse. S’il la laissait impunie et si les fautes se multipliaient, il en résulterait sans aucun doute qu’elles devraient être corrigées au prix d’un grand désordre, ou que le royaume disparaisse. »
(Le Prince, III)
Livres [critique]
Bellanger : une sorte de long tweet débile et haineux
Par Rémi Lélian
De son livre, Les Derniers Jours du parti socialiste, Aurélien Bellanger dit qu’il s’agit d’un long tweet destiné à « faire mal et à infliger le plus de dommages possibles » (sic) à ses nouveaux « ennemis » (re-sic), les partisans d’une gauche laïque accusée de trahir la gauche en la phagocytant. En cela, il résume à merveille la nature de son livre, sorte de lettre de délation adressée aux autorités morales de son propre milieu socio-culturel à laquelle le nom de roman tient lieu de masque afin de la maquiller en brûlot politique. Mais ça n’est rien qu’un long tweet haineux, c’est-à-dire la forme d’expression la plus basse que notre époque, moralement en pleine déchéance, a pu produire pour l’instant. Un long tweet haineux, un crachat donc à destination du Printemps Républicain et de ceux que Bellanger lui assimile sous des noms transparents derrière lesquels on reconnait Enthoven, Fourest, Val, Onfray et, naturellement, le fondateur dudit Printemps, Laurent Bouvet.
On ne débattra pas ici de l’authenticité de ce que Bellanger raconte puisqu’il agite le joker de la fiction pour désarmer ceux qui pourraient à bon droit se sentir calomniés. On remarquera en revanche que le nom de roman est présomptueux à l’égard de cette littérature prétexte qui ne fait même pas l’effort du romanesque. Là où Houellebecq, son ancien maître, s’efforce de dériver notre réalité pour y inscrire des alternatives présentées sous la forme du destin, Bellanger se contente d’y insérer brutalement ses propres obsessions ; en l’occurence celle d’un prétendu complot « raciste », organisé par ceux qui défendent un idéal laïc jugé par notre « romancier » insuffisamment inclusif – comprendre, en gros, tous ceux qui ne réduisent pas les arabes à des musulmans susceptibles qu’il faudrait cajoler.
Ni véritable histoire contrefactuelle, ni personnages profonds et complexes ne se rencontrent dans ce pavé simplement voué à dénoncer et à désigner l’ennemi grâce auquel Bellanger tente de définir l’identité de sa gauche à lui, « indigéniste » forcément, et dont la légitimité, auto-référentielle, consiste à être la bonne, la vraie, la seule gauche qui puisse exister parce qu’elle seule en possède le droit, les autres étant « racistes » et, de gré ou de force, les fourriers de l’extrême droite.
On parle souvent de gramscisme de droite, Bellanger y revient d’ailleurs tout au long de son livre pour en accuser ses cibles, mais il faudra aussi, un jour, s’interroger sur cette gauche schmittienne qui, comme le philosophe encarté chez les nazis Carl Schmitt, circonscrit l’horizon de la politique à la figure de l’ennemi. On sait les dangers de ce genre de conception politique quand s’y mêle l’eschatologie dévoyée de ceux qui croient se purifier au travers de leur haine de l’ennemi : l’anéantissement. En littérature, cela donne un roman médiocre et dénué d’ambiguïtés, narcissique et moralement douteux, une sorte de long tweet débile et haineux.
Aurélien Bellanger, Les Derniers Jours du Parti socialiste, Seuil, 470 p., 23€
« Quel homme sensé osera jamais dire qu'il est permis de répandre des poisons, de les vendre publiquement, de les colporter, bien plus, de les prendre avec avidité, sous prétexte qu'il existe quelque remède qui a parfois arraché à la mort ceux qui s'en sont servis ? »
Grégoire XVI
Liberté, que de mensonges on profère en ton nom
Par Jacques de Guillebon
À tout chrétien qui sait que c’est la vérité qui rend libre, et rien d’autre, et non l’inverse, le libéralisme devrait être naturellement suspect. Il n’est pas téméraire d’affirmer que ce n’est plus le cas à notre époque qui fait grand cas des « libertés », individuelles ou publiques, qui seraient sans cesse menacées. Et c’est même devenu, paradoxalement, un mantra des conservateurs et un de leurs combats.
Paradoxalement ? Oui, nous l’allons montrer tout à l’heure.
Ce combat s’est par exemple particulièrement révélé durant les différents confinements et autres joyeusetés qui ont parsemé la période de la pandémie du Covid. On a vu des catholiques outrés manifester contre la suspension provisoire du culte – oubliant que la chose était arrivée maintes fois dans l’histoire (pas plus tard que pendant l’épidémie de choléra à Marseille en 1832 par exemple) et que l’homme n’est pas fait pour la messe mais la messe pour l’homme. Aussi, quelle qu’en soit la douleur, s’il est sérieusement jugé qu’une assemblée dominicale réunie risque de causer des morts, il est plus qu’évident qu’il faut s’en passer. Sinon, c’est mettre son Dieu à l’épreuve.
De même, on a entendu des gens au nom d’un faux conservatisme s’élever contre les vaccins, arguant que dans des temps antiques on s’en passait bien et que finalement le plus fort survivrait, et que surtout, qui était l’État pour nous obliger ?
Justement, il était l’État et on ne voit pas bien à quoi il servirait sinon à mener des politiques publiques, orientées vers le bien commun, lequel, politiquement parlant (et seulement dans cet ordre-ci) vaut plus que le bien-être de la personne.
Évidemment, dans un ordre supérieur, celui de la charité (qui a aussi des répercussions politiques), la personne vaut plus que la masse et que le bien commun : mais cet ordre n’est pas sanitaire, et en rien il n’est autorisé de pouvoir crever si l’on en a envie, ni de laisser son frère crever parce qu’il en a envie. La loi commune traduit ça par le terme lourdaud de non-assistance à personne en danger. Et le criminalise, à raison.
Toute morale spontanée, même sans être informée par le christianisme, sait qu’on doit être elle gardien de son frère. Il aura fallu le pervers libéralisme des modernes, celui de Locke et de ses successeurs, pour que chacun soit non seulement déclaré souverain et inattaquable dans ses propriétés matérielles mais en sus propriété et propriétaire de soi-même. Contre le reste de la société. C’est là le fondement de ce que l’on appelle liberté en ces temps-ci, qui n’est qu’un joli mot pour désigner un sale vice, l’égoïsme.
Aussi sommes-nous toujours plus surpris de voir des gens qui, chrétiens, conservateurs, devraient logiquement raisonner selon l’opposé, se laisser prendre à ce discours facile, simple et séducteur, qui promet d’être propriétaire comme un dieu. On n'oublie cependant pas d’un point de vue psychologique le poids qu’a pu exercer le totalitarisme communiste sur ces esprits et comment il a fait de coeurs traditionnels les plus grands porte-voix de la « liberté ». Prompts à voir une dictature partout où elle n’est pas, en Occident, les mêmes feignent hélas de ne pas l’apercevoir où elle est monstrueuse, en Syrie ou en Russie aujourd’hui, par exemple.
Liberté, que de mensonges on profère en ton nom. Et rien n’est plus évident si l’on se rappelle que le problème a été pris à l’envers : l’homme ne naît pas libre, il le devient, s’il a beaucoup appris, beaucoup médité, beaucoup travaillé, et beaucoup travaillé sur lui pour s’extraire de ses vices naturels, et aller vers ce que nous autres catholiques appelons la sainteté. L’homme qui touche la vérité mérite d’être appelé libre. Et lui seul.
Pour le reste, il n’est que jouisseur, consommateur, triste esprit vaquant de désir en satisfaction éphémère.
Et à ceux qui ont peur qu’on menace leur liberté d’expression, il faut rappeler combien il est d’abord nécessaire de posséder une liberté de pensée, c’est-à-dire les outils nécessaires à la découverte de la vérité.