À l’occasion de l’exposition « Dorothy Day, changer l’ordre social » du peintre François Rieux, au Cloître des Billettes à Paris, la petite-fille de Dorothy Day, Martha Hennessy était en France. Nous l’avons rencontrée. Et il ne s’agit pas seulement d’une petite-fille de sang : mais d’esprit et de cœur aussi, et ses engagements pour la paix et la justice sociale ne le cèdent en rien à ceux de sa grand-mère.
Par Baudouin de Guillebon
Lorsqu’on demande à Martha Hennessy combien de temps elle a passé en prison, elle sourit et répond : « Pas assez longtemps ». Une réponse devenue traditionnelle chez les militants pacifistes américains, depuis qu’elle a été prononcée par le jésuite Daniel Berrigan, le fondateur du Catholic Peace Fellowship, l’un des dix fugitifs les plus recherchés du FBI dans les années 60. Rien n’est assez pour cette lignée de chrétiens opposés aux guerres injustes, au complexe militaro-industriel, à l’emprisonnement massif et arbitraire, opposés aussi à la ségrégation et aux mille maux du désordre social.
Martha est la fille spirituelle de ce mouvement qu’elle prolonge au XXIe siècle. Mais elle est aussi la petite-fille de Dorothy Day, co-fondatrice avec le Français Peter Maurin du mouvement des Catholic Worker. C’est d’ailleurs pour parler de sa grand-mère qu’elle est venue au café le Dorothy le 26 juin. Devant un parterre de curieux, Martha détourne les questions qui lui sont destinées pour mieux célébrer la mémoire de Dorothy, la Servante de Dieu, la pacifiste absolue, figure majeure et multirécidiviste de l’anarchisme catholique américain. Elle rappelle la jeunesse socialiste de Dorothy la journaliste, ses emprisonnements de suffragette, elle détaille sa conversion au catholicisme, ses luttes auprès de Martin Luther King, son engagement contre toutes les guerres, elle se souvient du nom de Dorothy jeté par le Pape François au milieu du Congrès américain, en 2015, comme d’autres jettent leur gant. « C’est Dorothy, dit Martha, qui m’a attrapé la nuque et qui m’a poussé à agir, elle m’a conduit là où je ne pensais jamais aller. »
Car Martha n’est pas simplement une disciple intellectuelle de la fondatrice du Catholic Worker, elle a choisi de poursuivre sa tâche, et de renouer avec l’action militante. Une personne lève la main durant la conférence : « Pourquoi pratiquez-vous l’action non-violente ? Aujourd’hui, certains considèrent que l’action directe, la détérioration de matériel, par exemple, peut être plus efficace, n’êtes-vous pas d’accord ? » Non, Martha secoue la tête. Pourquoi rechercher la violence quand il y a tant d’autres moyens de s’opposer au système entier, à ces structures de péché qui rongent même nos consciences ? Dans l’assemblée, certains militants venus l’écouter ne semblent pas convaincus, ils semblent attirés par l’action violente, ils murmurent.